Je n'avais pas spécialement prévu de faire une course ce week-end. Après de belles escapades en Haute-Savoie puis dans le Valgaudemar, je ne ressentais pas vraiment le besoin de compétition. Je glandouillais devant mon ordinateur après une sortie en vélo quand je suis tombé sur l'annonce de l'organisation de la Solitaire du Soleil et de la Lune, dans les alentours de Gap. Annonce discrète, saisie au détour d'un fil Facebook, annonce mystérieuse : lieu de départ inconnu, parcours inconnu, distance inconnue. Pas de ravitaillement, pas de balisage, et ce nom qui résonnait si bien avec mes dernières expériences. Pour s'inscrire, juste un numéro de téléphone, celui de Bruno Poirier, chevalier du vent, maître d’œuvre de la Solitaire. En quelques échanges, c'est bouclé, je vais participer.
Jeudi
soir, annonce est faite du lieu de départ, qui semble directement
issu de l'imagination d'un scénariste de série B : le
rendez-vous est donné au cimetière de Montmaur, à 4h du matin, le
Samedi. J'hésite à planter la tente, Bruno me convainc de venir
partager une Pasta party chez un autre Bruno – qui sera rebaptisé
ici Doc, il est médecin et puisque tout le monde s'appelle Bruno, il
faut bien trouver des parades. Doc habite dans une ancienne colonie
de vacances, décorée de drapeaux de prière tibétains. C'est un
type épatant, au sourire éternel. Il est visiblement très complice
avec Bruno, qui met la dernière main à l'organisation quand je
débarque. Bruno a de longs cheveux châtain, un regard doux qui
contraste étonnamment avec son visage taillé dans la roche. Il
porte un t-shirt orné d'un grand smiley qui ne doit pas dater
d'hier, et plaisante en inscrivant les numéros des concurrents sur
les cartes qui nous serviront à suivre le parcours. Il y a là,
également, quelques-uns des participants. La plupart se connaissent
déjà : fondus d'aventure, ils ont participé à l'une ou à
l'autre des courses himalayennes organisées par les chevaliers du
vent.
Une
grande table est dressée à l'extérieur, sous les arbres. Autour de
quelques verres de rosé, les discussions s'engagent. Emmanuel a de
grands yeux rieurs au-dessus de sa barbe broussailleuse. Il a
l'accent suisse, mais revient de Hong-Kong : il a quitté son
travail, et prépare un périple asiatique en marchant. Christophe me
fait penser à un indien. Il vient de la Réunion, et parle avec
émotion du Grand Raid. Ses traits fins ne trahissent pas son âge :
il a une cinquantaine d'années, en paraît vingt de moins. On parle
de choses et d'autres, et si le trail n'est jamais bien loin, les
conversations s'éloignent parfois des sentiers, comme nous le ferons
le lendemain.
La
nuit est courte, et mes pensées divaguent trop pour que je trouve
vraiment le sommeil. Je n'ai aucune envie de me lever quand Bruno
vient taper à la porte de notre chambre. Tout le monde est plus ou
moins au radar, mais ça plaisante quand même en buvant un café et
en mâchouillant un bout de pain d'épice. Arrivés sur le lieu de
départ, nous retrouvons les autres coureurs qui vont participer :
en tout, nous ne sommes qu'une petite quinzaine. Bruno fait un topo
rapide, nous remet nos cartes, les frontales s'allument et le départ
est donné, dans la nuit.
Cédric,
un sympathique coureur local, prend la tête – il connaît
parfaitement les chemins du coin, et il lui a suffit d'un coup d’œil
sur sa carte pour savoir comment se rendre au premier point de
contrôle – qui se trouve au sommet du Pic de Bure, 1800 mètres
plus haut. Je lui emboîte le pas, en compagnie de Vincent – qui
m'avait impressionné lors d'une récente édition du trail Sainte
Victoire, continuant la course avec le sourire malgré une cheville
flinguée à mi-course. Nous progressons relativement lentement dans
les sous-bois, en discutant. Nous arrivons sur une piste, et Cédric
s'arrête pour attendre un ami – qui se nomme aussi Vincent,
décidément ! Nous continuons donc à deux sur une section
roulante, avant de tomber sur le Doc, qui nous propose une tasse de
thé brûlant. Vincent suggère de se passer des frontales pour la
suite. Le matin est encore hésitant, mais c'est la Solitaire du
Soleil et de la Lune, après tout : sans nos lampes, nous
verrons mieux le jour se lever sur le Dévoluy, c'est certain. Nous
confions nos frontales au Doc, et repartons vers la montagne.
C'est
seulement la seconde fois que je monte au Pic de Bure. La première
s'était effectuée par un autre versant, sous des pylônes, le long
de pistes de ski. J'avais passé une heure à maudire l'organisateur,
ne prenant absolument aucun plaisir dans la pente rocailleuse qu'il
nous imposait. Cette fois, je profite pleinement du paysage
majestueux qui s'offre à nous. Le chemin est difficile mais
agréable, la compagnie de Vincent très heureuse. Nous parlons de
voyages, du Népal, d’Éthiopie et du Sri Lanka. Nous parlons aussi
de l'évolution de notre sport, sans illusions, mais avec une
constatation : l'essentiel est toujours là, dans ce plaisir de
découvrir des lieux magnifiques, et de s'y découvrir.
Les
chamois jouent dans la caillasse, juste au-dessus de nous. En
contrebas, on aperçoit nos poursuivants. Il n'y a plus un arbre
depuis longtemps, rien qu'un chaos de calcaire. Au loin, sur le
plateau, l'observatoire et son ambiance de science-fiction. Au-dessus
de nous, le Pic, que nous gravissons lentement. En contrebas, une mer
de nuages dense et grise s'étend à perte de vue, une vision qui
convoque en un instant le fantôme de Caspar David Friedrich... sauf
que les voyageurs portent shorts et t-shirts en lieu et place du
pantalon et de la redingote. Nous passons quelques minutes au sommet,
avant que le froid ne nous décide à se lancer dans la descente.
Nous croisons alors les autres coureurs, qui montent à leur tour au
Pic.
Dans
la descente de la combe Ratin, Vincent prend quelques encablures
d'avance, ce qui ne me surprend guère : je ne suis toujours pas
un casse-cou, et je lève un peu le pied à dessein. Nous avons
décidé de quitter l'itinéraire principal, pour couper en direction
d'une bergerie. Je tombe sur une petite sente qui part sur la droite,
parfait, juste ce que je cherche, je m'engage avant de comprendre que
ce single n'est probablement pas sur la carte... Je nourris quand
même un temps l'espoir qu'il retrouve sur le chemin que je cherche,
sans trop consulter ma carte ou ma boussole. Grossière erreur, je
suis en train de m'engager dans une grimpette conséquente, 300
mètres de dénivelé positifs en bonus. Quand je comprends enfin que
je suis en train de faire n'importe quoi, j'envisage deux options :
revenir sur mes pas, ou basculer par un pas au pied du rocher qui me
fait face, la crête d'âne. La première alternative serait
évidemment payante, en terme de chrono, mais ça me semble assez peu
dans l'esprit d'exploration de la Solitaire, je décide donc d'aller
voir ce qu'il se cache derrière cette crête, et je suis servi :
une longue pente herbeuse bien chiante, qui me mène laborieusement
jusqu'à la piste forestière que j'aurais dû prendre à l'origine.
Dans
l'affaire, j'ai perdu une heure et pas mal d'énergie, mais je m'en
fous un peu. J'ai déjà compris depuis longtemps que la Solitaire du
Soleil et de la Lune n'est pas une course comme les autres :
nous sommes partis depuis quatre heures, et je ne suis que sur la
troisième des huit cartes.
Je
prends un gros coup de moins bien dans la montée vers le col du
Rabou, ce qui m'étonne un peu car je n'ai pas vraiment forcé
jusqu'ici. Je m'alimente et bois en marchant, en tentant
d'enregistrer les beautés du paysage qui m'entourent. Les langues de
brouillard se perdent le long de la crête de la Plane. Quelque-part,
un patou aboie. L'herbe vert-de-gris répond au bleu dragée du ciel.
Arrivé au col, je ne trouve pas immédiatement le chemin qui devrait
redescendre, fais quelques mètres sur la piste qui monte, hésite.
Je vois alors revenir Cédric, Vincent et Bruno, qui arrivent à un
bon rythme au col.
Nous
partons ensemble dans la descente assez technique, sur un magnifique
single qui se perd entre pierriers et hautes herbes. Je prends un peu
d'avance dans les parties rugueuses, mais décide d'attendre les
autres un peu après un replat sur lequel quelques campeurs
dissertent de manière indolente. Nous prenons ensemble
l'impressionnant sentier des Bans, taillé dans une falaise une
centaine de mètres en surplomb du petit Buëch. L'endroit est aussi
sauvage que magnifique, et nous prenons quelques photos. Doc nous
attend au milieu du sentier, il est rassuré de m'y retrouver :
en effet, pour les concurrents déjà passés, je m'étais évaporé
suite à ma petite boucle supplémentaire autour de la crête d'âne.
Nous
descendons vers le village de Rabou, que nous atteignons sur les
coups de 11h30. Nous avons déjà fais 35 kilomètres, et pas mal de
dénivelé. Je sais déjà que je ne ferais pas le parcours entier,
et puisque la course nous laisse la possibilité de rentrer
directement au lieu d'arrivée, qui se situe quand même à une
quinzaine de bornes. Notre petit groupe semble un peu fatigué, et
nous repartons à petite allure sur la route, avant de galérer un
peu à trouver le GR qui nous amènera vers La Roche-des-Arnauds. Ce
sentier est plutôt sympa, avec un passage sur un petit pont et une
végétation luxuriante, mais la pluie s'est invitée, et j'en ai un
peu plein les bottes. Arrivé au village, nous traversons la route
pour partir à la recherche de la petite chapelle où se trouve l'un
des points de contrôle, quand je tourne la tête pour apercevoir
Vincent, assis sous un abris-bus en compagnie de scouts. Il a l'air
aussi étonné que moi, et nous explique qu'il est rincé, après une
montée difficile vers Charance – une des options du parcours. Il
se joint donc à notre groupe, qui a perdu entre temps le second
Vincent – qui a préféré jouer la sécurité en raison d'un genou
douloureux. Sur la dernière heure, mon mollet droit couine un peu,
me rappelant que j'ai eu un peu tendance à abuser – tant sur
l’entraînement que sur la fiesta – ces dernières semaines. On
termine donc tout en douceur.
À
un croisement de route, quelques kilomètres avant l'arrivée, nous
tombons sur Christophe, qui va donc rejoindre notre petit groupe pour
les dernières hectomètres le long de la rivière. Il s'est arrêté
un moment à La Roche-des-Arnauds, « pour boire un Orangina et
manger une glace ». Les joies du trail en autonomie !
A
l'arrivée, j'ai le plaisir de voir se matérialiser une tireuse à
bière... Ce n'est pas une hallucination, simplement la marque d'une
organisation roots qui sait choyer ses coureurs. Quelques verres
d'une bonne blonde artisanale me font oublier mes petites douleurs,
et les conversations reprennent de plus belle. Certains décident
déjà de retourner sur le parcours, le lendemain, pour lui faire
honneur et le boucler. Pour ma part, plus sagement, je décide après
quelques heures de rentrer dans mes contrées.
Conclusion ?
Cette édition zéro de la Solitaire du Soleil et de la Lune fut une
expérience inoubliable, placée sous le signe du partage... Les
Solitaires du trail sont d'abord solidaires. Merci encore aux
organisateurs, Bruno & Bruno, mais aussi aux autres coureurs et
coureuses pour cette journée extraordinaire, ce beau voyage autour
du Dévoluy.
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